Source le Figaro https://www.lefigaro.fr/dossier/coronavirus-la-france-d-apres-covid-19-epidemie-pandemie-interview
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Bonjour les étudiants, merci de lire ces articles extraits du Figaro, nous en parlerons en classe.
1) Orlane François, responsable étudiante : «Cette crise sanitaire révèle à quel point les jeunes sont engagés»
LA FRANCE D’APRÈS – Tous les jours, Le Figaro interroge une personnalité sur la façon dont elle envisage l’après crise. La présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) estime que la France «a besoin d’un renouveau démocratique et écologique».
Orlane François, 24 ans, est la présidente de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), principal syndicat étudiant de France. La Fage, qui s’illustre depuis quelques années en travaillant de manière apartisane avec les différents gouvernements, milite pour «une amélioration constante de la vie des étudiants».
LE FIGARO. – Le premier ministre Edouard Philippe a dit que cette crise allait révéler ce que «l’humanité a de plus beau et de plus sombre» . Qu’avez-vous vu pour l’heure?
Orlane François. – Cette crise est une mise en lumière effrayante du mal que l’activité humaine fait à la planète. Lorsque l’on voit que les dauphins reviennent dans les ports parce qu’il n’y a plus de bateaux et que, dans le monde entier, des animaux qui n’étaient plus apparus dans les villes commencent à revenir, on prend conscience de la gravité de la situation. Même à Paris on le constate : quand je regarde par la fenêtre, je vois le soleil, et un ciel bleu quasiment tous les jours, ce qui n’est pas le cas habituellement. C’est révélateur de l’impact néfaste que l’homme a sur la terre.
Malgré cela, cette crise sanitaire révèle aussi tous les bons côtés de l’humain. Cela se manifeste par les milliers d’initiatives désintéressées qui ont été lancées pour venir en aide aux plus faibles. Dans le monde entier, des bénévoles s’activent pour permettre à des gens de manger, de tenir, de ne pas se sentir seuls, pour aider le personnel soignant à se loger… Les étudiants sont d’ailleurs souvent parmi les plus mobilisés. Toutes ces initiatives sont fabuleuses.
Les étudiants en médecine, mais aussi, ceux des autres filières de santé sont nombreux à être mobilisés depuis le début de la crise. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Depuis le début de cette crise, l’engagement des étudiants a cloué le bec de nombreuses personnes qui expliquaient qu’aujourd’hui, les jeunes étaient des fainéants qui n’avaient aucune responsabilité sociale. C’est faux et ils le prouvent chaque jour. Les jeunes ont par exemple été les premiers à sortir pour aider leurs voisins âgés, à aller leur faire des courses pour leur permettre de continuer à vivre sans se mettre en danger. Cette crise sanitaire révèle à quel point les jeunes sont engagés.
Qu’allez-vous apprendre de cette épreuve de confinement?
Personne ne s’attendait à vivre ça dans sa vie. Personnellement, je pense que je vais apprendre à relativiser sur mon quotidien. Aussi, cela me permet de prendre conscience de l’importance du temps que je passe avec mes proches et ma famille. La distanciation forcée nous rapproche. Je n’ai jamais autant eu mes grands-parents et mes parents au téléphone qu’actuellement. C’est la première fois que je prends conscience de ça depuis que j’ai quitté le domicile familial. Puis, j’apprends aussi à regarder ce qui se passe autour de moi. Dans notre train-train quotidien, lorsque l’on court un peu partout, de réunion en réunion, on ne s’arrête pas beaucoup pour respirer et on passe à côté de certaines choses. On ne prend par exemple pas le temps d’écouter, de regarder ce qui se passe à côté, chez les autres, ailleurs dans le monde. On est dans notre bulle. Cette crise permet d’en sortir et de prendre conscience de beaucoup de choses.
Et la France?
Nous devons collectivement retenir certaines leçons. En éducation, en santé, et dans bien d’autres domaines, notre service public souffre d’une politique budgétaire insuffisante. Il doit y avoir une prise de conscience : les situations de détresse et de précarité ne sont pas juste des histoires que l’on raconte, c’est le quotidien de milliers de personnes. Lorsque l’on parle d’inégalités d’accès à l’éducation et de réussite par exemple, ce ne sont pas juste des discours sans fond, mais une vraie réalité.
On le voit bien aujourd’hui : nous ne sommes pas égaux, nous n’avons pas tous les mêmes capacités à vivre décemment dans la crise. Nous ne pouvons plus continuer à vivre comme nous le faisons actuellement, ce n’est plus tenable. Et il ne faut pas que ce soit juste des mots, des beaux discours politiques, il faut que tout cela se concrétise en actes. Sinon, nous fonçons droit dans le mur.
Voyez-vous des choses qui commencent déjà à changer dans le pays?
Il est trop tôt pour le dire. Mais cette crise met en lumière ce qui doit changer. Nous avons besoin d’un renouveau démocratique et écologique, sinon, la vie sur Terre va devenir intenable. Et il faut absolument que les jeunes soient acteurs de ce changement. Je n’ai jamais aimé la phrase qui dit que «les jeunes, c’est l’avenir». Les jeunes, c’est le présent. C’est maintenant que nous devons agir, changer les choses, faire en sorte d’être écoutés. C’est de notre responsabilité. Je pense qu’au vu de la mobilisation des jeunes générations actuellement, on peut dire que c’est bien parti. La jeunesse a envie de faire et c’est à elle d’insuffler quelque chose de nouveau et d’aider à bâtir le monde de demain.
Est-ce que cette période va changer des choses dans votre vie?
Je n’ai pas encore assez de recul pour l’imaginer. Ce qui est sûr, c’est que cela va changer ma façon de voir les choses, notamment sur mon rapport à l’importance du lien familial. Cela me conforte vraiment dans ce que je fais quotidiennement, dans mon engagement pour la jeunesse. J’ai envie de le poursuivre et de faire tous les jours mon possible pour faire évoluer les choses dans la bonne direction. Puis, cette crise, au cours de laquelle nous restons chez nous, me fait aussi réfléchir à l’importance pour tous d’être bien logés. J’ai un toit sur la tête, je vis dans un endroit correct, mais ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde. Cette pandémie doit nous faire penser à ce que nous pouvons faire, dès maintenant, pour que cela change.
Quelles leçons pensez-vous que notre pays en tirera?
Nous avons besoin d’une société et d’un état qui protègent, d’un service public prêt à assumer ce genre de défi. C’est son rôle. Aujourd’hui, nous n’étions pas prêts à vivre une telle crise sanitaire. Quelles vont désormais être les priorités pour éviter que cela se reproduise ? Nous devons à tout prix arrêter de voir le service public uniquement sous le spectre de la dette. Il faudra aussi se souvenir de ces travailleurs de l’ombre comme les caissiers ou les éboueurs, très peu valorisés, souvent oubliés, dont on se rend compte qu’ils sont aujourd’hui essentiels à nos besoins vitaux. En termes de rémunération, ils sont souvent en bas de l’échelle. Cette crise nous a appris à mieux les respecter et j’espère que notre pays s’en souviendra d’eux. Puis, il faudra mieux protéger les travailleurs indépendants. Beaucoup d’étudiants, autoentrepreneurs ou chauffeurs Uber pour arrondir leurs fins de mois ne sont pas protégés socialement. Actuellement, ils sont seuls dans leur résidence universitaire et personne n’est capable de savoir s’ils vont bien ou s’ils ne manquent de rien.
Pour finir, je pense que les questions environnementales doivent être au cœur de nos préoccupations. Lorsque l’activité humaine baisse comme c’est actuellement le cas, dehors, la nature reprend ses droits. Ce constat doit être une prise de conscience. Les questions de transports et de production doivent être abordées sous un angle nouveau afin de protéger notre biodiversité. Nous devons tout reposer à plat et remettre la planète et l’humain au cœur de nos préoccupations.
2) Hugo Travers, youtubeur : «Il y a une vraie créativité dans la mobilisation de notre génération»
LA FRANCE D’APRÈS – Chaque jour, Le Figaro interroge une personnalité sur la façon dont elle envisage la France de l’après-crise. Le youtubeur dénonce «la politique politicienne qui prend le dessus sur l’importance de sauver des vies».
L’an dernier, à la même période, il interviewait Emmanuel Macron. Hugo Travers, 23 ans, est l’un des youtubeurs les plus suivis de France. Depuis le début de la crise du coronavirus, le jeune homme, encore étudiant à Sciences Po Paris, résume tous les jours l’actualité à ses plus de 750.000 abonnés, sur YouTube.
LE FIGARO. – Le premier ministre Édouard Philippe a dit que cette crise allait révéler ce que «l’humanité a de plus beau et de plus sombre» . Qu’avez-vous vu pour l’heure ?
HUGO TRAVERS. – J’ai vu beaucoup de choses sombres. Déjà, sur l’origine de la crise actuelle. Celle-ci est due à notre impact sur l’environnement, au fait que l’homme a empiété sur des territoires qui n’étaient pas les siens au départ et qui appartenaient à des animaux. Cette pandémie, et potentiellement les autres qui suivront, révèlent des failles dans nos façons de consommer et l’impact néfaste que nous avons sur la nature. Il y a aussi beaucoup d’indécence, comme quand la politique politicienne prend le dessus sur l’importance de sauver des vies. On l’a beaucoup observé pendant cette crise, de la part de dirigeants de tous bords politiques. Puis il y a des événements qui choquent, comme quand on voit les Américains racheter des masques qui devaient partir en France, sur le tarmac d’un aéroport. C’est la loi du plus fort qui prime, même sur des sujets sanitaires si importants, en pleine crise. Il y a aussi du positif. En France, on a vu de belles choses : les jeunes de cité qui vont aider des personnes âgées ou qui remplacent les femmes de ménage dans les immeubles, les ultras de foot qui font des livraisons à domicile, etc. C’est réconfortant.
Les jeunes ont été très mobilisés depuis le début de la crise. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela ne m’étonne pas du tout. Nous avons une volonté de nous engager à notre façon, avec nos outils, en faisant différemment de nos parents. L‘an dernier, avant même la crise du coronavirus, on a par exemple vu des dizaines de streamers se mobiliser et réussir à lever trois millions et demi d’euros pour l’institut Pasteur juste en jouant à des jeux vidéo. Plein d’initiatives de ce genre ont vu le jour pendant la crise. Je pense notamment à McFly et Carlito, qui avec d’autres youtubeurs, ont fait un live d’une journée entière, et ont levé plus de 400.000 euros pour les hôpitaux. Il y a une vraie capacité d’innovation, une vraie créativité dans la mobilisation de notre génération.
Comment vivez-vous ce confinement ?
J’ai quasiment terminé mes études, il ne me reste qu’un oral pour avoir totalement fini. Alors, je travaille quasiment tout le temps sur mes vidéos. Depuis le début du confinement, je fais une vidéo par jour sur ma chaîne YouTube «Hugo Décrypte», pour expliquer l’actualité aux jeunes. C’est très dur de déconnecter lorsque l’on est confiné, qu’on ne voit ni sa famille, ni ses amis. En plus, en cette période, les jeunes suivent nos vidéos de manière encore plus importante que d’habitude.
Je me suis mis à méditer aussi, pour prendre un peu de recul. Cela me fait beaucoup de bien. Puis, j’essaye de réfléchir aussi, mais quand on a autant la tête dans l’actualité, ce n’est pas évident d’arriver à réaliser ce que l’on vit actuellement. C’est une période historique, qui nous touche chacun dans notre intime, car on est confinés et on ne voit personne. Plus de la moitié de l’humanité vit collectivement une sorte de solitude individuelle. C’est inédit.
Pensez-vous que cette crise va modifier les liens sociaux entre les jeunes ?
La dernière fois que l’on s’est posé cette question-là, c’était au moment des attaques terroristes qui ont touché la France. Nous étions tous traumatisés, et on s’est retrouvés à avoir peur de sortir. Allons-nous éprouver le même sentiment dans les mois qui viennent ? Je ne sais pas. Le virus est un ennemi que l’on ne voit pas alors que les images du Bataclan, elles, restent à jamais gravées dans nos têtes. Mais finalement, malgré cela, les jeunes avaient continué à vivre comme avant, à sortir, à aller à des concerts, à boire des verres, tout en étant plus prudents.
On a vu au cours de cette crise beaucoup de rumeurs et d’informations non vérifiées tourner. Pensez-vous que les jeunes sont armés pour ne pas céder à l’emballement de ces fakes news ?
Plusieurs études montrent que les fakes news sont souvent plus partagées par des personnes âgées que par des jeunes. Mais il est évident que nous sommes exposés du fait de notre présence importante sur les réseaux sociaux. Et certains jeunes le sont d’autant plus car ils délaissent les médias traditionnels. Ils n’ont plus confiance en ce que leur racontent la presse, la radio et la télévision, et se tournent vers d’autres sources d’information.
Sur les réseaux sociaux, on a beaucoup parlé de la prétendue mort de Kim Jong-un ou du Hantavirus, qui risquerait à son tour de menacer la planète. Il y a eu des centaines de milliers de tweets sur le sujet, alors que ces informations n’ont jamais été vérifiées par aucun média. Il faut être très vigilants. C’est d’ailleurs pour cette raison que dans «Hugo Décrypte», je parle régulièrement de ces fausses nouvelles qui circulent en rappelant aux jeunes qu’elles n’ont pas été vérifiées et qu’elles ne sont que des rumeurs. Et cela répond à une réelle demande car nous recevons des dizaines de questions sur ces sujets.
Voyez-vous des choses qui commencent déjà à changer dans le pays ?
Il y a une vraie prise de conscience sur l’importance des services publics. Est-ce que cela se traduira par des choix politiques ? Par des changements de comportements ? Je ne sais pas. Mais j’ai peur que cette prise de conscience ne soit que temporaire, et qu’une fois la crise terminée, il y ait un retour à la normale, voire un effet boomerang. En bref, que les ralentissements de ces dernières semaines n’entraînent une volonté d’accélération d’autant plus forte à la sortie, comme pour compenser.
Cette crise va-t-elle changer des choses dans votre vie ?
Oui, beaucoup. Elle en a déjà changé. Nous sommes cinq dans l’équipe d’Hugo Décrypte. Avant le début du confinement, on savait que les jeunes attendraient beaucoup de nous. Nous avons une vraie responsabilité : les informer au quotidien sur l’importance de la distanciation, l’évolution de la crise, sans être trop anxiogènes pour garder un lien avec eux. En moyenne, 400.000 personnes par jour suivent notre point quotidien sur YouTube. Ça nous a placés dans une position où l’on a une immense responsabilité envers des centaines de milliers de jeunes. D’un point de vue personnel, ça a changé mon quotidien. Je dois être encore plus exigeant avec moi-même car c’est une mission capitale que celle de bien informer les jeunes.
À quoi aimeriez-vous que ressemble la société de l’après-coronavirus ?
J’aimerais que cette crise nous permette d’apprendre et d’inventer un nouveau monde, mais je peine à en être convaincu. Je ne suis pas forcément très optimiste sur la société à venir. Malgré les belles initiatives que l’on a vues, je crains vraiment un grand relâchement après le confinement. J’ai également peur de la crise économique et de ses répercussions diplomatiques. Nous sommes dans une inconnue totale, personne ne peut anticiper ce qui va se passer.
3) Aurélie Jean : «Notre solidarité et notre engagement post-confinement seront déterminants»
Tous les jours, Le Figaro interroge une personnalité sur la façon dont elle envisage l’après coronavirus. Aurélie Jean, docteur en sciences et entrepreneuse, appelle à «garder l’esprit ouvert».
Aurélie Jean, 32 ans, est docteur en Sciences et entrepreneuse. Elle a sorti son premier livre De l’autre côté de la Machine, voyage d’une scientifique au pays des algorithmes, chez L’Observatoire en 2019.
LE FIGARO. – Le premier ministre Édouard Philippe a dit que cette crise allait révéler ce que «l’humanité a de plus beau et de plus sombre» . Qu’avez-vous vu pour l’heure ?
AURÉLIE JEAN. – Témoins et acteurs du «plus beau comme du plus sombre», nous apprenons tous de ce confinement social et économique. Le plus beau est certainement l’attention individuelle entre voisins, entre collègues, ou entre proches. Collectivement, on (re)découvre la valeur inestimable de nombreux métiers qui contribuent largement au fonctionnement de notre société. Éboueurs, concierges, ou encore personnel de santé et commerçants, c’est à eux qu’il faudra penser en sortie de confinement. Car la sortie sera pénible pour ces hommes et ces femmes qui auront les traits marqués, au sens propre comme au sens figuré. Elle sera aussi exténuante pour les PME, les entrepreneurs ou encore les artisans qui, par leurs coûts fixes élevés, leurs revenus fortement diminués et une flexibilité financière incomparablement plus faible que celle des grands groupes, seront les premières victimes économiques collatérales. Notre solidarité et notre engagement post-confinement seront déterminants.
Qu’allez-vous apprendre de cette épreuve de confinement ?
Nous sortirons tous transformés. Naïvement, savourer encore davantage les moments de libertés avec nos proches, nos corps qui se serrent l’un contre l’autre, et nos joues qui se touchent, sont autant de petits riens qui deviendront de grands instants. Moins évident mais tout aussi puissant, nombreuses sont nos habitudes, que nous revisitons aujourd’hui de façon pragmatique par nécessité personnelle ou professionnelle, et qui dessineront peut-être nos nouveaux repères.
Voyez-vous déjà des choses qui ont changé dans le pays ?
Bien sûr. Nous prenons désormais mieux conscience des relations d’interdépendance avec notre entourage personnel et professionnel, qui se réorganisent en temps de confinement. Les relations contractuelles et hiérarchiques s’en retrouvent remodelées. Les médecins collaborent encore plus avec les infirmiers et les aides-soignants qui sont en contact direct et régulier avec des patients du Covid-19, pour apprendre des symptômes et des mécanismes de ce virus encore mal compris. Le temps de ce confinement, nous remplaçons les professeurs de nos enfants, notre jardinier, notre femme de ménage, ou encore la nourrice de nos bambins. Par ce changement de rôles, même exigeant et difficile, on comprend et valorise davantage les fonctions de l’autre et notre besoin de l’avoir à nos côtés. Même au sein des familles, les rôles s’échangent et les tâches sont redistribuées, pour se réapproprier au mieux une routine nécessaire et vivable.
Professionnellement, sans parler des relations hiérarchiques qui tendent à s’aplatir par pragmatisme, nous construisons avec une plus grande créativité, une certaine agilité et en mode coopératif. Nos clients et nos prestataires deviennent des collaborateurs, et nos employés se transforment en partenaires, dans une dynamique de combat où l’expression «faire feu de tout bois» prend tout son sens. Enfin, entre collègues ou entre amis on se parle davantage en décrochant nos téléphones et en abandonnant les longs échanges textuels habituels, pour enfin se connecter à l’autre.
Quelles leçons pensez-vous que notre pays en tirera ?
Même si on aimerait voir uniquement le verre à moitié plein pour pouvoir ensuite le remplir à ras bord, il y a des craintes et des menaces bien réelles de ce confinement. On tend à stigmatiser certains peuples, comme les Chinois ou les Américains, par l’irresponsabilité et parfois peut-être la malhonnêteté de leurs décideurs politiques. Ce risque se concrétise par des pensées sombres et des actes et des paroles racistes. Notre esprit critique est également menacé, dû entre autres à notre isolement et notre situation d’anxiété permanente (même légère), qui nous pousse à croire à des solutions simples pour résoudre un problème pourtant complexe et multidimensionnel.
Hannah Arendt soulignait justement que l’isolement des individus, et la perte d’unité, fragilise les peuples face au risque de totalitarisme. Ce confinement montre que ce totalitarisme est peut-être aussi nous-mêmes. Enfermés dans notre bulle d’opinion et d’observation, nous risquons de devenir notre propre ennemi. C’est une certitude, et c’est la leçon que nous devons tirer, gardons l’esprit ouvert, nous en sortirons plus forts et plus unis !
À quoi ressemblera, selon vous, l’après?
Nous avons la chance en France d’avoir un État présent, qui nous protège, mais nous devons nous rappeler et user davantage du soutien individuel, dans le but de construire une plus grande cohésion sociale. S’aider les uns les autres et valoriser par la même occasion les actions individuelles pour le bien collectif. L’individualisme, maladroitement perçu dans notre pays, est en réalité un levier pour l’entraide sociale, et ce confinement le démontre. Associé à un État fort, cela fera de notre pays en sortie de crise une pépite économique et sociale. C’est à ça qu’il devra ressembler.
4) Guillaume Néry, apnéiste : «Ce qui arrive aujourd’hui est une dérive de notre emprise sur la nature»
LA FRANCE D’APRÈS – Tous les jours, Le Figaro interroge une personnalité sur la façon dont elle envisage l’après crise. Le double champion du monde d’apnée, Guillaume Néry, espère à l’issue de cette crise «une prise de conscience et un bouleversement des comportements».
Guillaume Néry, âgé de 37 ans, est un apnéiste français. Il a été champion du monde de sa discipline à deux reprises et a battu au cours de sa carrière quatre records du monde pour atteindre en 2015 la profondeur de -126 mètres. Désormais retiré des circuits compétitifs, ce niçois s’illustre dans des vidéos mêlant apnée, esthétisme et mise en lumière de la vie sous-marine.
LE FIGARO. – Le premier ministre Édouard Philippe a dit que cette crise allait révéler ce que «l’humanité a de plus beau et de plus sombre» . Qu’avez-vous vu pour l’heure ?
Pour l’instant, le côté positif qui ressort de cette crise est cette grande solidarité générale. Avec ce confinement qui est respecté par tout le monde en France, et même par plus de la moitié de l’humanité, on agit dans un grand mouvement pour une cause commune. Tout le monde met du sien dans ce combat, que ce soit ceux qui doivent rester confinés mais aussi, et surtout, toutes ces professions qui sont indispensables pour le pays et qui sont dans cette obligation de mettre les bouchées doubles. Il y a un véritable élan commun. On sort tous un peu de notre zone de confort car on se retrouve tous à devoir gérer une situation nouvelle. Cela montre les ressources que l’on peut tous avoir individuellement et collectivement.
Bien évidemment, il y a aussi des événements plus inquiétants comme ces personnes qui laissent des lettres aux infirmiers dans les immeubles pour leur demander de partir. Cette peur et ce repli sur soi, c’est le côté sombre d’une partie de l’humanité. La peur de l’autre mène toujours vers des déviances, c’est ce qu’il faut fuir le plus possible. Par ailleurs, ce flux d’informations continu – qui est normal étant donné la situation et sa gravité – fait ressortir chez nous une sorte de curiosité morbide. Plus il y en a plus on a envie d’en avoir. Cette information principale phagocyte tout le reste et crée une sorte d’addiction. C’est un cercle vicieux qui est anxiogène et duquel on doit arriver à se détacher.
Votre engagement pour l’environnement vous pousse-t-il à avoir une vision particulière de cette crise ?
Oui, tout ce qui arrive en ce moment, à savoir l’effondrement des écosystèmes prouvé par les scientifiques, n’annonce absolument rien de bon pour le futur. Il ne faut pas être naïf et rentrer dans l’ésotérisme en disant qu’avec le coronavirus la Terre nous lance une mise en garde. Non, ce qui arrive aujourd’hui ce n’est pas un signal mais bien une dérive naturelle de notre emprise sur la nature. Les espaces naturels sont complètement grignotés et du fait de notre proximité contrainte avec le monde et les animaux sauvages ce qui favorise les épidémies. C’est une cause directe. Il faut comprendre que tout ce massacre du vivant on le paye à un moment donné. J’espère qu’il va y avoir une prise de conscience et un bouleversement des comportements.
Au-delà de la crise, à titre personnel, quel enseignement tirez-vous de cette période de confinement ?
Dès le début de la crise, j’ai eu plusieurs annulations de projets professionnels. Donc j’ai eu le sentiment qu’il allait y avoir un véritable ralentissement, et qu’il fallait que je saute sur cette occasion pour faire un point et que je puisse profiter de ce moment de pause. Comme beaucoup de personnes, j’étais embarqué dans une forme de frénésie professionnelle et j’avais un sentiment de perte de contrôle et de maîtrise du temps. Quand tout a commencé à ralentir, je me suis dit qu’il y avait peut-être une occasion à saisir afin de repartir sur de nouvelles bases. C’est un ralentissement global, qui va me permettre de me recentrer sur l’essentiel. J’essaie d’être centré sur l’instant, et d’analyser ce que peut offrir ce moment, pour avoir la lucidité de savoir exactement comment je veux recréer mon quotidien pour la suite.
Je suis bien conscient que j’ai la chance de pouvoir vivre ce confinement avec cette façon de penser. J’ai aussi la chance d’avoir un métier passion et de pouvoir en vivre, de voyager, de faire des conférences. Mais on se laisse souvent embarquer et on ne sait plus où sont les limites. Dans notre société, tout le monde est accablé par les sollicitations, que ce soit par des coups de téléphone, des mails, des messages, un emploi du temps surchargé, des rendez-vous. Nos vies sont organisées à la minute près et ce mode de fonctionnement est compliqué à gérer. Des personnes n’en peuvent plus et font des burn-out. J‘espère que chacun va se retrouver, s’interroger, et se dire : « qu’est-ce que je veux quand ça va repartir ?».
Vous prônez l’éloge de la lenteur, cette vertu vous est-elle utile pendant cette période de confinement ?
Elle est même très importante. Dans la très grande majorité des sports, il y a une logique de sprint et d’ultra-vitesse. Avec l’apnée c’est complètement différent, on est dans une forme de lenteur et de patience. Il est primordial d’avoir une bonne gestion de ses mouvements car on doit consommer une réserve d’énergie et d’air finie. On est donc à la recherche d’un rythme de croisière et d’une certaine économie avec des gestes lents et relâchés. Cette logique est intéressante à mettre en perspective au mouvement global du monde, qui lui est dans une constante accélération. Ce confinement nous confronte tous à cette lenteur, à cette patience. On ne sait pas quand la situation va redevenir normale, c’est le flou total. On est obligé de changer notre logique de fonctionnement et de ralentir. La lenteur est un repos et une véritable respiration.
C’est bien entendu difficile à appliquer dans tous les domaines et même paradoxal : les médecins, les infirmiers et autres personnels médicaux sont obligés d’être dans la rapidité et dans l’urgence car chaque seconde compte pour sauver des vies. De la même manière, pour le climat on ne peut plus se permettre d’attendre et d’être lent, on a atteint un seuil critique. Ces deux urgences sont primordiales car elles touchent à l’avenir de l’humanité sur cette planète. Là où il y a un souci avec la vitesse c’est lorsqu’elle s’impose alors qu’elle n’est pas vitale. Elle devient alors une logique purement capitaliste et productiviste.
Cette crise doit-elle nous amener à revoir nos priorités ?
C’est essentiel. Aujourd’hui le niveau d’engagement et d’investissement qu’il faudrait mettre pour vraiment changer les choses et sauver la planète est colossal. Ce n’est pas une petite modification d’un système dont nous avons besoin mais bien d’une refonte totale de notre manière de fonctionner. Je prône une forme de décroissance que j’essaie d’appliquer à ma vie quotidienne. Mon objectif est de ne plus rien acheter sauf quand c’est véritablement nécessaire. Je suis pieds et poings liés dans ce système. Malgré ce que je peux dire, il y a des moments où je me retrouve en dissonance totale avec moi-même. Et ce parce que mon activité est en lien avec le fonctionnement économique. C’est très compliqué d’un côté de prôner la décroissance et de l’autre faire des conférences pour des entreprises, qui sont là pour vendre. La problématique n’est pas simple et demande de repenser totalement le système. C’est impératif.
D’un point de vue plus politique, ces dernières années, les hôpitaux imploraient d’avoir plus de moyens pour travailler et qu’on cesse toutes ces coupes budgétaires. Aujourd’hui, on voit bien que cette gestion numéraire et monétaire du pays à ses limites. Pendant cette crise, le pays tient grâce à ses services publics et j’espère qu’on arrivera à revaloriser ces fameux secteurs essentiels. Par ailleurs, il faut que la France comprenne l’importance de relocaliser un maximum sa production, notamment alimentaire. Il est nécessaire de recréer une forme d’autonomie, d’indépendance. On se prend en pleine figure cette mondialisation. L’idée n’est pas d’être dans le repli sur soi, mais de faire preuve de bon sens. L’avenir ne pourra fonctionner que si on retrouve un fonctionnement un peu plus local.
Selon vous, à quoi va ressembler l’après-crise ?
C’est un grand mystère. J’espère un véritable sursaut et pas un retour au fonctionnement d’avant. Le pire serait même de se dire «on a accumulé trop de retard avec cette crise alors accélérons et rattrapons-le». Ça signifierait qu’on n’a pas su tirer les conclusions de cette épidémie et qu’il n’y a plus de raison d’espérer. On foncerait droit dans le mur. Pour éviter cela, ayons la lucidité et le recul d’analyser la situation. Car aujourd’hui nous sommes dans une logique de bilan quotidien, avec le nombre de morts par pays, des graphiques, des évolutions et des données très mathématiques. Demain il faudra voir ça de manière plus globale et complète pour que tout le monde puisse comprendre que la crise écologique et environnementale est en lien direct avec cette pandémie.
D’un point de vue plus humain, beaucoup de choses ont changé aussi avec le confinement. On va devoir recréer du lien et on se rendra compte de cette chance qu’on a de vivre et d’avoir tant de liberté. Je sais que quand je vais sortir de là et que j’aurai de nouveau accès à la mer, de nouveau accès à la montagne il faudra savourer ces moments. Quand on le pourra, et que ça ne présentera plus de danger, juste se retrouver avec trois amis, boire un café et aller se baigner n’aura jamais eu autant de saveur.
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