Source : LeTemps, Fabien Goubet
1) «Le risque est que la réalité virtuelle nous coupe vraiment de la vie réelle»
Cerveau
S’isoler du reste du monde pour parcourir des univers virtuels peut-il avoir un impact sur la santé mentale? Psychiatre aux Hôpitaux universitaires de Genève, Yasser Khazaal estime que les casques à réalité virtuelle ont un potentiel addictif qui peut poser problème pour certains utilisateurs

Le Temps: Y a-t-il des risques psychiques associés à l’utilisation des casques à réalité virtuelle?
Yasser Khazaal: Bien qu’on manque encore de recul vis-à-vis d’une utilisation à grande échelle et prolongée, on ne peut pas exclure du tout qu’il puisse exister des effets néfastes pour la santé. On peut s’attendre concrètement à des troubles qui sont peu ou prou similaires à ceux que l’on observe chez certaines personnes avec une addiction aux jeux vidéo.
Pour la petite fraction de joueurs avec un usage compulsif, il y a une fuite en avant, une tentative d’échapper aux soucis quotidiens et aux difficultés de la réalité. Le jeu étant l’une des principales applications de la réalité virtuelle, il est possible que les mêmes problèmes soient rencontrés voire exacerbés. Toujours en cas d’usage excessif, des troubles de l’humeur ou d’autres désordres mentaux pourraient s’associer à cet usage excessif ou le potentialiser.
Enfin, des incohérences dans les informations sensorielles reçues par le cerveau pourraient également être une source d’ennui. Le fait de lui envoyer des données contradictoires (par exemple, lui faire croire que l’on est en mouvement alors qu’on est assis, ndlr) provoque ainsi des nausées à faible dose. Dans le cadre d’une utilisation prolongée et répétée, on ne peut pas exclure la survenue de phénomènes de dépersonnalisation ou d’altération des perceptions qui devraient, a priori, être transitoires.
– Est-ce à dire que la réalité virtuelle est mauvaise pour la santé?
– Non, au contraire. Cela fait d’ailleurs de nombreuses années que plusieurs centres médicaux utilisent la réalité virtuelle comme outil de traitement, surtout pour soigner les troubles liés à l’anxiété. Prenons l’exemple d’un arachnophobe. En le plaçant dans un environnement virtuel contenant des araignées, sa perception est fortement stimulée, on peut déclencher chez ce patient des réactions d’anxiété qu’il va apprendre à maîtriser au fil des expositions.
La réalité virtuelle permet de recréer à loisir des environnements sécurisés et immersifs qui permettent d’agir sur ces réactions émotionnelles. De manière préliminaire et prometteuse, ces approches sont aussi utilisées dans d’autres domaines telles que les addictions ou les troubles alimentaires. On peut, par exemple, placer les patients dans des environnements virtuels qui déclenchent des envies, afin qu’ils expérimentent et acquièrent de meilleures manières d’y faire face.
Tout cela est très encourageant d’autant que la marge de progression demeure importante, mais la technologie ne fait pas tout, le succès repose sur la bonne intégration clinique de ses approches et sur l’accompagnement par le personnel médical et soignant.
– Quels conseils donner aux premiers acquéreurs de casques à réalité virtuelle?
– Il faut faire preuve de bon sens, en commençant et en continuant par toujours développer la partie de sa vie «hors connexion». Ces technologies ont fait beaucoup de progrès. Elles peuvent amener des bénéfices importants autant pour les expériences ludiques que pour les thérapies ou l’apprentissage. C’est très réjouissant, pour autant qu’on les applique à la réalité ou qu’on les utilise pour potentialiser celle-ci et non pas pour s’en isoler. Le risque serait qu’elles nous coupent vraiment de la vie réelle.
2) Réalité virtuelle : une «machine à empathie» contre la récidive des auteurs de violences conjugales
Source Libération
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par Marlène Thomas
«Tout est parfait.» Dans un salon cossu du ministère de la Justice, casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, nous sommes projetés dans l’intimité d’un couple. Ils pourraient être n’importe qui. Le film immersif de douze minutes, tourné en prises de vues réelles à 360°, s’ouvre sur une scène anodine de dîner aux chandelles. Champagne, jus d’orange et rose rouge, visiblement pour fêter l’annonce d’une grossesse. La banalité du quotidien comme amorce d’une escalade de la violence.
Tout se joue entre la cuisine et le salon. Tour à tour, nous nous fondons dans la peau du mari violent, de sa femme victime de ses agissements et de l’enfant, victime collatérale et témoin direct des souffrances de sa mère. Les années s’égrènent, traînant avec elles emprise, menaces, violences verbales, contrôle coercitif, isolement et violences physiques. Le prévenant «tout va bien ?» a laissé place au «t’as compris, tu ne me parles pas comme ça, tu fermes ta gueule». Les coups pleuvent. Impossible de détourner le regard.
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A l’occasion du premier anniversaire du bracelet électronique antirapprochement, une des mesures phares du Grenelle contre les violences conjugales, le ministère de la Justice parie sur une innovation pour lutter contre la récidive des auteurs : la réalité virtuelle. Si ses résultats sont probants, elle viendra compléter un arsenal dont les failles ont été, ces derniers mois encore, crûment mises en exergue. Ce projet, impulsé par le Laboratoire de recherche et d’innovation de la direction de l’administration pénitentiaire et conçu par la start-up lyonnaise Reverto avec l’aide de psychiatres et psychologues, a été présenté à la presse jeudi. Ici pas de jeux vidéo, le casque se mue en «machine à empathie», résume Guillaume Clere, fondateur de Reverto. Une étude publiée dans Nature en 2018 avait montré les effets bénéfiques de cet outil sur ce public, notamment sur la reconnaissance des émotions. «Le fait de commettre les actes violents est souvent lié à l’absence d’empathie et de capacité de la part des agresseurs à se mettre à la place de leurs victimes», constataient les chercheurs.
Effet Proteus
Le top départ de cette expérimentation de trois mois, dont le coût s’élève à 117 000 euros, s’apprête à être donné lors du déplacement du garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, à Poitiers ce vendredi. Les antennes de Villepinte, Lyon et Meaux des Service pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) seront les premières à y prendre part, marchant ainsi dans les pas de nos voisins espagnols. Un dispositif analogue a été lancé en 2019 dans des prisons catalanes, notamment celle de Tarragone, où «pour certains, il y a eu un vrai choc et une prise de conscience par le biais de la réalité virtuelle», fait valoir la chancellerie, qui affirme que cette expérimentation a eu des «résultats très positifs», selon les échanges informels ayant eu lieu entre les services français et espagnols. Aucune donnée concrète ne permet cependant pour l’heure de l’étayer. Une évaluation d’une durée d’un an a d’ailleurs été confiée à l’université de Rennes pour mesurer à court terme les conséquences de l’expérimentation en France.
En donnant frontalement accès aux émotions de la victime, le casque permet de se mettre à la place d’autrui «sans effort». C’est ce que les chercheurs appellent l’«Effet Proteus». «Quand on se met dans le corps de quelqu’un d’autre, on s’approprie ses caractéristiques», développe Guillaume Clere. Une façon aussi d’éviter le déni, courant chez les agresseurs. Une fois dans le casque, impossible de fuir la réalité. Le ministère abonde : «Les zones du cerveau impliquées lors d’une séance de réalité virtuelle sont les mêmes que dans la vie réelle, cela laisse la possibilité de duper le cerveau.» Si cet outil peut, au premier abord, sembler «gadget», «on n’a pas inventé l’eau chaude. Cet outil vise à donner un énorme coup de pouce, d’ouvrir des fenêtres cognitives pour déconstruire le cycle de la violence par d’autres formes d’expression comme la parole», estime le fondateur de Reverto.
Futur outil de formation ?
Vingt-huit détenus ou prévenus ayant reconnu les faits en feront l’expérience. «Nous avons privilégié les profils ayant le plus de chances de récidiver», précise le ministère. Deux protocoles sont prévus : un visionnage dans le cadre d’un entretien individuel puis une projection lors d’une séance de groupe à Meaux. A Lyon et Villepinte, le visionnage individuel s’inscrira dans un programme de prévention de la récidive comportant huit à dix séances de travail étalées sur plusieurs mois. Lors du point presse, le ministère a aussi réaffirmé sa volonté de continuer à développer l’existant en dressant le bilan du bracelet : au 13 septembre, 379 bracelets de ce type avaient été prononcés et 268 étaient actifs, contre 59 en mai. Une augmentation que le ministère attribue notamment aux «féminicides ayant marqué l’actualité à cette période-là». Ces dispositifs ont mené à 754 appels des forces de l’ordre. Le contrôle judiciaire renforcé, expérimenté à Nîmes et Colmar, sera aussi étendu à huit nouveaux sites.
Ce premier pas dans la réalité virtuelle pourrait en appeler d’autres. «Le but premier est d’être délivré aux auteurs de violences conjugales, mais cela pourrait devenir un outil de formation des magistrats, de la police, pour comprendre que les violences conjugales ne sont pas que des violences physiques», avance le ministère. L’immersion sonore et visuelle est totale. En seulement douze minutes, ce film, où la violence monte crescendo, bouleverse. Il nous laisse la gorge serrée. De quoi espérer un vrai déclic chez les principaux concernés.
3) Se faire servir un cocktail par une pieuvre ou ouvrir un casino : le « métavers », univers virtuel de tous les possibles
Source le Monde, Vincent Fagot , juillet 2021
Pour les adeptes de ce concept, l’Internet actuel est voué à disparaître au profit de mondes virtuels rassemblant des communautés de millions d’êtres humains.

Quand ils ont vu tomber l’annonce de la dernière levée de fonds du géant du jeu vidéo Epic Games, les moins geeks des observateurs ont dû se gratter la tête. Le 13 avril, la compagnie américaine, à l’initiative du jeu Fortnite, clamait que cette rentrée d’argent frais – 1 milliard de dollars, soit 840 millions d’euros – avait vocation à « soutenir [sa] vision à long terme pour le “métavers” ».
Une recherche sur Internet leur aura appris que le terme, contraction de « méta » et d’« univers », doit sa paternité à l’auteur américain de science-fiction Neal Stephenson, dans son roman de 1992, Snow Crash (Le Samouraï virtuel, dans l’édition française). Le concept a, depuis, inspiré des films, comme ceux de la trilogie Matrix (Lana et Lilly Wachowski, 1999-2003), ou Ready Player One (Steven Spielberg, 2018).
Dans cet univers parallèle virtuel en 3D, en mouvement perpétuel, tout est possible : se faire servir un cocktail (virtuel) par une pieuvre, ou ouvrir un casino (générant, lui, de vrais revenus). Pour les convaincus, le « métavers » est appelé à supplanter l’Internet tel qu’on le conçoit aujourd’hui. D’où l’intérêt qu’il suscite chez beaucoup de géants de la technologie, qui en font « leur objectif macro », selon Matthew Ball, du fonds d’investissement américain EpyllionCo.
Bien plus qu’un jeu
De plus en plus de briques nécessaires à sa construction sont en train de se mettre en place. Les casques de réalité virtuelle (Vive, HTC, Oculus) ou augmentée – qui devraient être la porte d’entrée privilégiée vers le métavers – offrent des expériences immersives de plus en plus convaincantes. Et leur adoption, après des débuts en demi-teinte, s’accélère. Selon le cabinet IDC, les dépenses dans ce secteur devraient être multipliées par six entre 2020 et 2024, pour passer de 12 milliards à 72 milliards de dollars.
4) Facebook veut créer un metaverse, un monde virtuel où nous nous retrouverons tous… pour le meilleur ?

Le géant américain pense que notre futur se jouera dans dans des expériences insérées dans un monde virtuel parallèle. Une sorte d’Internet incarné, d’après Mark Zuckerberg.
Mark Zuckerberg est animé d’une nouvelle vision pour son entreprise. Il veut qu’elle devienne d’ici cinq ans le leader du metaverse, métavers en français. Ce concept est apparu dans le roman de science-fiction Snow Crash, de Neal Stephenson en 1992. Il fait référence à la convergence de la réalité physique, augmentée et virtuelle dans un même espace en ligne et partagé.
Le successeur de l’Internet mobile
Le metaverse serait le « successeur de l’Internet mobile », comme l’explique Mark Zuckerberg dans une présentation à ses salariés que The Verge a pu visionner.
« Vous pouvez considérer le metaverse comme un Internet incarné, où au lieu de simplement afficher du contenu, vous y êtes », a détaillé le fondateur de Facebook à un journaliste de The Verge.
Le fondateur de Facebook prend l’exemple des réunions en visioconférence qui se sont multipliées avec la pandémie. Des expériences monotones et lassantes car très éloignées de ce à quoi ressemble une réunion dans la vie réelle.
Nous avons l’habitude d’être dans une pièce avec des gens et d’avoir une impression d’espace où si vous êtes assis à ma droite, cela signifie que je suis également assis à votre gauche, nous avons donc un sentiment d’espace partagé en commun ».
Autre exemple, celui de quelqu’un qui voudrait télétravailler dans un café. Il pourrait emporter avec lui virtuellement tout son environnement informatique de travail. D’après Zuckerberg, même nos smartphones nous contraindraient en nous obligeant à nous concentrer sur de petits écrans.
Un sentiment de présence dans l’espace
L’idée avec le métavers, c’est de gagner un sentiment de présence dans l’espace lorsque l’on est en ligne. Il ne s’agirait donc pas d’être davantage connecté à Internet, mais d’interagir de façon plus naturelle par l’intermédiaire d’un casque de réalité virtuelle ou plus probablement de lunettes de réalité augmentée.
Or, Facebook commercialise déjà des casques de VR avec oculus. Et il planche sur ses propres lunettes de réalité augmentée. La société a donc tout intérêt à développer des expériences qui reposent sur ses dispositifs. Le monde y gagnerait, d’après Mark Zuckerberg.
« À l’avenir, au lieu de se parler par téléphone, vous pourrez vous asseoir avec un hologramme sur mon canapé, où je pourrai m’asseoir avec un hologramme sur votre canapé, et j’aurai l’impression que nous sommes au même endroit, même si nous sommes dans des états différents ou à des centaines de kilomètres l’un de l’autre », explique-t-il encore.
Concerts, spectacles, émissions télévisées, de nombreux domaines pourraient en profiter. Suivant les expériences, nous serions amenés à apparaître aux yeux des autres sous la forme d’un avatar avec des tenues et des objets numériques à personnaliser.
Utopie ou enrobage marketing ?
Zuckerberg présente son metaverse comme un moyen de résoudre de nombreux problèmes sociétaux. Il pense que cela pourrait réduire les inégalités, ou créer des opportunités d’emplois. Il imagine ainsi de futurs espaces publics au sein de cet univers parallèle pour avoir des « communautés saines ».
Une utopie qui nous rend immédiatement dubitatif. Car on pense bien évidemment à Second Life, metaverse des années 2000 et véritable phénomène de société qui n’avait pas échappé à la drogue et à l’alcool, ni à la pédophilie et aux jeux d’argent.
Angélisme ou enrobage marketing, le créateur de Facebook imagine également un mode de gouvernement décentralisé et collaboratif qui pourrait fonctionner comme Wikipédia, l’encyclopédie en ligne qui est gérée par une organisation à but non lucratif.
Les entreprises développeraient enfin leurs logiciels en faisant en sorte que tout soit interopérable. Car il faudra pouvoir transporter avec soi ses avatars et ses biens numériques, même si l’on change de service.
Un groupe de travail dédié va plancher sur ce concept au sein de Facebook. Mais ce n’est pas une initiative isolée. Le PDG d’Epic Games, Tim Sweeney, a déclaré, lui aussi, à plusieurs reprises son ambition de contribuer un jour à un Metaverse. Ready Player One, nous voilà.