Juliette Bourdier,
Le troisième sexe : fantaisie médiévale, du monastère au purgatoire
À partir du VIe siècle, les témoignages cléricaux de transports dans l’au-delà se répandent dans les monastères européens pour former un corpus dont le but est de promouvoir l’éducation et le salut des âmes. Les voyageurs en ramènent des révélations sur la structure de l’enfer en général et l’organisation des tourments en particulier. Dans cette littérature générée par les moines pour les moines, l’emphase portée sur les écarts sexuels est révélatrice d’une lutte constante à réprimer le désir autant que du besoin de détruire l’objet de ce désir. Promoteurs de chasteté, le traitement punitif, qu’ils associent à ceux qui se sont laissés corrompre par la luxure, fait appel à un assortiment de fantasmes dont la poétique débridée mêle torture, cruauté et lubricité. Subséquemment et au nom du culte de la chasteté, ces corps qui devaient être séparés et abstinents dans l’ici-bas, sont dénudés, profanés et mélangés dans l’au-delà jusqu’à en perdre leur configuration générique. Dans cette communication, j’aborderai la redistribution des identités sexuées, telle qu’elle apparaît dans une série de témoignages de voyage en enfer qui inventent une sexualité punitive au cours de laquelle le genre des âmes pécheresses est effacé par la castration et l’insexuation. Ces nouveaux êtres insexués, devenus esclaves sexuels de leurs bourreaux, sont fécondés indifféremment et, privés d’organes reproducteurs, subissent la violence de leur progéniture qui dévore les chairs génitrices pour s’en échapper. Le fait est qu’en reconfigurant l’âme corporisée des clercs luxurieux aux enfers, les moines, troisième sexe sur terre, proposent en miroir, un être désexualisé et dénué de libre arbitre, devenu un quatrième genre, dégenré en enfer.
Le genre en littérature :
les reconfigurations du masculin et du féminin du Moyen-Âge à l’extrême contemporain
Ce colloque a l’ambition de réunir en deux jours une trentaine de chercheur·e·s du monde entier pour analyser la mise en action, dans les textes littéraires, des nouvelles catégories de genre (stéréotypes ou brouillage des normes) : soit par la relecture et la réévaluation des œuvres classiques au prisme de ce concept, soit par la mise au jour de corpus nouveaux. La perspective diachronique – sur un large panel trans-séculaire, du Moyen-Age au XXIe siècle – a pour but de cerner, au fil de l’évolution des idées et des mœurs, l’impact de ces représentations sur la créativité, hors d’un système binaire figé.
Toute une génération d’intellectuelles américaines s’inspire dans les années 80 de la « pensée française » et leur étude du genre revient dans les années 2000 en France où les sciences humaines et sociales poursuivent le travail de dénaturalisation des comportements : elles analysent les rapports de sexe en tant qu’historiquement déterminés, ainsi que les effets qu’a l’assignation des identités sexuées sur les individus et sur l’ensemble du système social.
L’objectif sera ici de s’intéresser aux identités sexuées (non aux pratiques sexuelles), en privilégiant la question des subversions, brouillages, défaussements (explicites ou clandestins), ainsi que les mises en cause de ces identités dans la littérature de langue française.
Il s’agira donc d’examiner l’appropriation réciproque, par chacun des deux sexes, des attributs assignés à l’autre, la redistribution des catégories, physiques, mentales, sociales (etc.) entre masculin et féminin, et les moyens spécifiquement littéraires mis en œuvre pour subvertir ces catégories. Par-delà la mise en scène littéraire d’une certaine porosité des catégories, la réflexion ira du simple brouillage des identités sexuées à une inversion plus marquée. Elle pourra concerner aussi les figures marginales et très fécondes, en littérature, de l’inter-sexe et de l’inter-genre ; de personnages – souvent idéaux – nantis des attributs des deux identités sexuées : biologiques (figures d’androgynie) et/ou sociales (éducation opposée au comportement assigné par le genre), produisant un être complet qui cumule les données du masculin comme du féminin et transcende les limites de la norme.
Fabienne Pomel et Marie-Françoise Berthu-Courtivron
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