Billet d’humeur par Jared Shapiro

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Des pneus incendiés devant le siège de Goodyear à Amiens-nord le 7 janvier 2014. AFP / DENIS CHARLET

Les faits : « Plus de deux ans après les faits, huit anciens salariés de l’usine Goodyear à Amiens-Nord (Somme), qui avaient retenu durant 30 heures deux cadres de leur entreprise menacée de fermeture, ont été fixés sur leur sort, mardi 12 janvier. Ils ont été condamnés par le tribunal correctionnel d’Amiens à deux ans de prison, dont quinze mois de sursis assortis d’une mise à l’épreuve de cinq ans. La peine de prison ferme est aménageable. Dénonçant une décision « injuste » et la volonté « de faire un exemple », les prévenus ont annoncé leur intention de faire appel. (le Monde, 12/01/2016).

Le profit importe-t-il plus que les ouvriers ?

Dans l’Humanité le 15 janvier 2016, Adrien Rouchaleou discute de l’emprisonnement de syndicalistes qui révèle une défaite du capitalisme.

Dans son article pour l’Humanité, “Goodyear, le capitalisme par l’exemple”, Adrian Rouchaleou écrit sur les travailleurs de Goodyear Amiens-Nord qui se sont battus contre l’entreprise et son mauvais traitement des emplois, et comment l’emprisonnement des huit ex-salariés expose, selon lui, “les conséquences de la dérégulation de l’économie, du travail et de l’impuissance – quand ce n’est pas de la lâcheté – des gouvernements” (L’Humanité, communiste, 15/01/2016). Rouchaleou nous rappelle qu’en 2011, François Hollande, qui n’était encore qu’un candidat présidentiel, s’est tenu devant des caméras à l’usine en déclarant que, “Je ne suis pas comme un autre qui vient devant les travailleurs et leur promet ce qu’il n’est pas capable de tenir après”, il avait alors ajouté, “l’Etat peut fixer les règles,” une proclamation optimiste et audacieuse devant des ouvriers et les médias.

 

Le 7 janvier 2014, le site de Goodyear Amiens-Nord a été fermé à cause d’une manifestation des représentants du syndicat majoritaire CGT (Confédération générale du travail) (Le Parisien, centre droite, 22/01/2014). Les travailleurs ont brûlé des pneus sur le parking et quelques-uns ont séquestré deux dirigeants de l’usine pendant trente heures en demandant des indemnités plus élevées et parce que Goodyear avait été condamné pour n’avoir pas prévenu les salariés des dangers associés à leur travail ni fourni d’équipements de protection individuelle (Le Parisien). Après avoir résolu cette situation il y a deux ans, on apprend récemment que huit des syndicalistes ex-salariés recevront neuf mois de prison pour ses actes.

En répondant à un entretien pour le Parisien le 7 janvier 2014, Maurice Taylor, patron du groupe Titan propriétaire de Goodyear, avait déclaré que, “l’entreprise n’appartient pas aux ouvriers,” suggérant que si on envoyait les manifestants en prison aussitôt qu’ils ont commencé leur manifestation “personne ne tenterait de faire la même-chose,” ce qui n’est pas exactement faux (Le Parisien). Mais ce qu’il dit menace la liberté des travailleurs en limitant leur droit de se manifester et de se battre pour leurs droits. Maurice Taylor a tout à fait raison en disant que la menace de la prison empêchera les prochains manifestants, mais une société libre ne permet pas aux riches de remplacer facilement leurs employés mécontents sans traiter leurs plaintes sérieusement.

Selon Rouchaleou, l’usine de Goodyear Amiens-Nord a été vendu aux Polonais, donc Titan va bientôt prendre les machines et les remettre à la nouvelle usine de Titan en Russie (L’Humanité).. En plus, le travail dans cette usine reste toujours nuisible aux ouvriers. Un ancien salarié raconte dans l’Humanité qu’il a été témoin de “six décédés prématurés” et une douzaine de suicides, tandis qu’il y a toujours du carbone, des vapeurs, et de l’amiante dans l’usine.

Le tribunal a donc condamné les syndicalistes fautifs sans ne rien faire pour les ouvriers qui y restent. Les syndicats professionnels existent pour protéger les droits des ouvriers et une manifestation représente la colère des hommes maltraités et frustrés. Alors, jeter ceux qui appartiennent au syndicat en prison montre que même les syndicats ne peuvent pas garantir la sécurité, la stabilité ou la santé des ouvriers. Par ailleurs, au lieu d’améliorer les conditions de travail dans l’usine, Titan opte pour la délocalisation de mains-d’œuvre, forçant les employés de lutter pour garder leur travail avec un flot de nouveaux compétiteurs polonais. Comme Rouchaleou le remarque, la dérégulation de l’économie et du travail donne plus de force aux chefs d’industrie qu’aux ouvriers. C’est encore une victoire pour le marché, les riches et les entreprises pendant que l’individu continue à souffrir à cause de la préférence de profit sur le travailleur. Par contre, il y a assez de monde qui pense que les corporations méritent plus de droits que leurs employés(1).  La question que nous devons nous poser maintenant est si cette préférence vaut le risque de perdre les droits élémentaires à la liberté et au travail.

 

Sources :

1.)Selon un sondage du Figaro, 88% des lecteurs croient que les référendums d’entreprise doivent primer sur les accords entre syndicats (Le Figaro, droite, 27 janvier 2016)

 

http://www.humanite.fr/goodyear-le-capitalisme-par-lexemple-595759

http://www.leparisien.fr/economie/goodyear-amiens-nord-accord-immin…

http://www.leparisien.fr/faits-divers/sequestration-a-goodyear-amie…

http://www.lefigaro.fr/social/2016/01/26/09010-20160126QCMWWW00155-…

http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/01/12/neuf-mois-de-prison-ferme-pour-d-anciens-salaries-de-goodyear_4845750_3234.html

 

1.) “Un syndicat est une association de personnes dont l’objectif est la défense d’intérêts professionnels communs. Les syndicats ou associations professionnels regroupent des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou connexes et ils ont pour objet exclusif l’étude et la défense des droits, ainsi que des intérêts matériels et moraux, collectifs et individuels des personnes visées par leurs statuts. Ils ont la capacité d’ester en justice afin d’assurer la défense de ces intérêts.” (http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/participation/syndicat/qu-est-ce-qu-syndicat-comment-s-organise-t-il.html)

2.) “Sous la Ve République, le droit de grève est totalement reconnu. Cependant, le législateur est intervenu en 1963 pour encadrer quelque peu ce droit. Sont ainsi interdites les grèves “tournantes”, qui visent à paralyser l’action d’une entreprise. De même, dans la fonction publique, un syndicat souhaitant organiser une grève est contraint de déposer un préavis cinq jours au moins avant la cessation du travail.” (http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/approfondissements/droit-greve.html )