Miriam Moran
Le film Keita ! L’héritage du griot (Dani Kouyaté, 1995) est souvent décrit comme une adaptation de l’histoire fameuse de Soundjata empereur du Mali, que le griot Djeliba Kouyaté raconte au jeune garçon Mabo Keïta. Cependant, le film se termine bien avant que le griot puisse raconter la fin de l’histoire de Soundjata. Mabo peut poursuivre un autre griot qui lui raconterait la fin de l’histoire de Soundjata, ou bien il peut complètement laisser tomber ce qu’il a appris de Kouyaté. Donc, au contraire de l’empereur Soundjata qui ne peut que suivre son destin, Mabo a un grand choix entre les connaissances traditionnelles et la modernité. Cependant, même si Mabo choisit de laisser tomber les connaissances traditionnelles, il n’a plus vraiment l’occasion de poursuivre encore l’éducation moderne, parce qu’il a été exclu de son école (1:23). Alors, il semble que Mabo ait un choix à la fin du film, mais ce n’est pas forcement un choix—il peut poursuivre les connaissances traditionnelles, ou bien il peut essayer d’exister dans le monde moderne sans l’aide et le soutien de sa mère et de son prof, qui représentent sa société.
L’interaction entre le griot et le maître d’école peut éclaircir l’importance des connaissances traditionnelles vis à vis la modernité. Au contraire de ce que pensent sa mère et le maître d’école, il est possible pour les connaissances traditionnelles et modernes de coexister dans ce film. Quand le griot demande au maître d’école son nom, le maître le lui dit, mais ne sait pas ce qu’il signifie. Le griot répond : « C’est dommage. Tu ne sais pas. Qu’est-ce que tu peux enseigner aux enfants sans savoir ta propre origine ? » (1:03).[1] Donc, le griot veut dire que l’éducation moderne est insuffisante en soi si les profs ignorent les connaissances traditionnelles. Il n’y avait jamais de choix entre la tradition et la modernité—la modernité ne peut même pas réussir sans respecter les connaissances traditionnelles. Comme l’image dans le film de l’âne qui tire le frigo, respecter la tradition est essentiel pour soutenir la modernité (50 :37-47). Malgré ce que pensent le maître d’école et la mère de Mabo, respecter les connaissances traditionnelles n’exclut pas nécessairement la modernité.
Le film lui-même tente de mélanger l’histoire traditionnelle de Soundjata avec le cinéma, une technologie moderne, mais qui inclut l’oralité. De cette façon, le film semble respecter le passé en incorporant la modernité. Cependant, le cinéma pose aussi des problèmes : il donne accès à l’histoire de Soundjata à un public plus large, surtout avec des sous-titres en anglais. Alors, ce mélange ne respecte pas l’idée du griot comme garde des connaissances—l’histoire de Soundjata devient commune, une histoire à laquelle n’importe qui peut avoir accès. Cette idée est vraiment un bouleversement de la tradition, mais si la seule façon de perpétuer l’histoire de Soundjata dans le monde moderne est de l’adapter, peut-être qu’il vaut mieux le faire. De plus, un des stéréotypes racistes sur l’Afrique est qu’elle n’a jamais changé et est figée dans le passé, un stéréotype qui n’est évidemment pas vrai. L’Afrique a changé et peut continuer à adapter. Garder l’équilibre entre le passé et la modernité ne serait pas facile, mais comme l’âne qui tire le frigo, le film laisse la porte ouverte à une harmonie entre les deux.
Miriam Moran, Whitman College, Walla Walla, WA
[1] Il le dit dans la langue jula, mais les sous-titres en anglais (que j’ai traduit en français) disent: « That’s a pity. You don’t know. What can you teach to children without knowing your own origin ? »
Leave a Reply