Un billet de Julie Arheim

Calais peut-il sonner le glas des accords de Schengen ?

Des milliers d’illégaux venants d’Afghanistan, du Pakistan, de Syrie et d’Afrique du Nord arrivent jusqu’à Calais pour franchir illégalement la Manche vers la Grande-Bretagne.

La Jungle d'Alpha, artiste à Calais, 2016
La Jungle d’Alpha, artiste à Calais, 2016

 

Xavier Bertrand, président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais-Picardie accuse la Grande-Bretagne de « dumping pur et simple ».  Ces déclarations sont rapportées par Pierre Breteau et Jérémie Baruch dans leur article « Comment fonctionne la politique migratoire entre le Royaume-Uni et la France ? » Le Monde (3.08.2015).  Parallèlement, la presse britannique accuse la France d’assouplir le traité du Touquet et de ne pas punir les migrants qui tentent la traversée de la Manche.1

Le fait est que contrairement aux pays de l’Union européenne continentale, la Grande-Bretagne ne participe pas à l’espace Schengen.2  En conservant le droit de ne pas appliquer les mesures européennes concernant les visas, l’asile et l’immigration de Schengen, elle résiste à l’entrée des migrants qui se massent à Calais. Pourtant, ils sont nombreux à être attirés par le miroir aux alouettes occidental et se sentent proche du Royaume-Uni principalement pour des raisons historiques (notamment suite à la présence coloniale britannique au Moyen-Orient et en Asie), et les traces laissés par le colonialisme (en particulier la langue). Aussi, lorsque la Grande-Bretagne refuse un migrant, la France doit le reprendre. Donc la France seule doit résoudre le problème croissant de l’assistance aux migrants et de leur installation à Calais (3.000-6.000 mille personnes).

 

Selon Haydée Sabéran, correspondant à Lille (Libération,  09.01.2016), la Jungle à Calais, campement spontané créé au printemps 2015, avec ses avenues de commerce, ses restaurants et ses mosquées, doit disparaître. L’État vise à réduire le nombre de migrants à 2.000.  Fabienne Buccio, la Préfète du Pas-de-Calais a annoncé,  « La lande de Calais n’est ni un lieu d’hébergement ni un projet de vie.»  125 conteneurs de métal installés en janvier 2016 au milieu de la Jungle hébergeront 1.500 personnes (12 chacun).

Le geste d’entraide s’est néanmoins transformé en désaccord. Et la résistance des migrants contre l’état français s’est intensifié au sujet de la prise des empreintes individuelles, procédé obligatoire aux entrants de l’espace Schegen. Les migrants s’y opposent car ce code morphologique peut les suivre s’ils entrent clandestinement en Grande-Bretagne.

Alors ils ne quittent pas volontairement leur Jungle boueuse où ils ont construit un monde dans un espace qui bien que propre et chauffé, n’offre pas l’eau courante pour la douche ni pour cuisiner. Et puis, que faire avec les 2.000 à 4.000 autres clandestins qui y campent ou avec les 200 nouveaux qui arrivent chaque jour ?

 

Parallèlement, les riverains, les entreprises et les commerçants de Calais subissent eux aussi la situation et ont demandé que l’état de catastrophe économique exceptionnelle soit déclaré pour la région (La Voix du Nord, 24.01.2016). Néanmoins, l’esprit de solidarité est plus fort que la peur de l’autre et tous participent à des gestes généreux pour adoucir les conditions extrêmes de vie dans la jungle. D’ailleurs, Guillaume Goubert dans la Croix (journal catholique, 21.10.2015) fait un appel humanitaire vibrant au nom de tous à propos de ceux qui sont affectés. Il demande de lutter en urgence comme en cas de catastrophe naturelle disant que la Grande-Bretagne boucle ses accès et agit sur un registre répressif qui dépasse aussi les autorités françaises.  « Nous le devons à ceux qui fuient la guerre et la misère et croient en l’Europe…à ceux (de) Calais…à notre humanité.»

 

La situation à Calais s’aggrave malgré les mesures d’urgence mises en œuvre. Il s’agit de disperser ces migrants sur toute la France pour les convaincre d’y demander l’asile, mais cela n’aide qu’à court terme. L’accord Schengen de 1985 n’avait pas prévu une tragédie humaine qui pouvait dégénérer en catastrophe sociale, humanitaire et économique. La solution parfaite n’existe pas, mais les pays de l’Union européenne collaborent entre eux et avec les pays d’origine et de transit pour développer une véritable politique migratoire fondée sur des critères justes, clairs et non discriminatoires.  Depuis le 13 novembre 2015, la France a réintroduit des contrôles temporaires de six mois aux frontières (Monde, 14.11.2015). Cinq autres pays de Schengen ont fait de même.  On se demande si l’accord Schengen survivra à cet événement imprévisible des migrants qui cherchent leur sécurité en Europe.

 

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1Conclu en 2003 entre Paris et Londres, le « traité du Touquet » visait à renforcer les contrôles sur les côtes de la mer du Nord et la Manche pour protéger l’île de l’immigration clandestine.  http://www.senat.fr/rap/l03-008/l03-0080.html [vu 10.02.2016]

2L’accord de Schengen prévoit l’absence de contrôle douanier entre les pays signataires dans le but de favoriser la libre circulation des biens et des personnes. Le nombre de pays participants est passé de cinq à vingt-six.  http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=URISERV%3Al33020 [vu 10.02.2016]

 

Sources :

http://abonnes.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/08/03/comment-…

http://www.liberation.fr/france/2016/01/09/a-calais-en-transit-dans…

http://www.la-croix.com/Debats/Editos/Migrants-a-Calais-inhumanite-…

http://www.lavoixdunord.fr/region/calais-service-d-ordre-maximal-ce…

http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/11/14/la-france-va-ferme…

1) Du pain, des roses…et une carte SIM.  Chaque jour des dizaines de réfugiés s’installent chez des bénévoles de Calais pour recharger la batterie de leur téléphone.

http://www.humanite.fr/blogs/du-pain-des-roses-et-une-carte-sim-583750

 

2) Dans la Jungle à Calais, une petite «école des arts et métiers » fleurit à la maison d’un mauritanien, Alpha, où une trentaine d’artistes participent à un parcours d’art et y trouvent un petit bout d’utopie et un symbole positif de la bonté humanitaire. Alpha, artiste mauritanien polyglotte, installé depuis un an à Calais, fait office de conciliateur entre migrants et population locale.

 

Peinture « Alpha/Basquiat » de Corine Pagne

http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/11/27/dans-la-jungle-de-…

 

3) « Il y a plein de petits gestes de la part de gens ordinaires: une boulangère qui donne son pain, des habitants qui laissent un garage ouvert l’hiver…Ça prouve que la société n’est pas en si mauvaise santé que cela » atteste un correspondant Libé des habitants de Calais.

http://www.liberation.fr/societe/2015/08/20/les-engages-de-paris-a-calais_1366675