Juliette Bourdier, “Atelier médiéval, entre fantasmagorie et sacralité”, l’atelier comme œuvre, Ligeia, n°205, CNL, Paris, 2023 : 90-107.
La dimension créatrice a toujours tissé des liens affectifs entre l’espace-atelier, l’artiste et les raisons de l’inspiration créatrice. L’atelier est en effet l’espace où l’artiste met en jeu ses pensées, ses sens, sa sensibilité et sa réflexion. L’atelier, lieu d’apprentissage, de création et de vente, s’impose comme source d’inspiration de l’artiste. De Vélasquez à Buren, en passant par les courants de l’art moderne et contemporain, l’atelier a toujours représenté une sorte de mise en abîme de la création, c’est-à-dire une création dans la création. Les articles de ce numéro retracent l’histoire des ateliers, depuis le moyen-âge, la Renaissance, où l’on fréquentait les ateliers d’artiste afin d’acheter les œuvres avant quelles soient mises sur le marché, jusqu’à l’atelier de Francis Bacon reconstitué et pratiquement sacralisé au Musée irlandais d’Art Moderne, à Dublin.
Atelier médiéval, entre fantasmagorie et sacralité
Au Moyen Âge, l’écrivain ou le peintre sont le plus souvent anonymes et la notion auctoriale renvoie à sa matérialité plus qu’à une individualité ; c’est sans doute la raison pour laquelle l’iconographie, qui jalonne fréquemment les manuscrits médiévaux, ne tente pas de figurer l’auteur en tant que personne réelle mais plutôt d’évoquer ses fonctions de production de l’objet-livre. On y voit l’artisan de l’écrit ou du peint, pilier centrale de son atelier, assis dans une chaise à bras, penché sur un pupitre ou posé devant un chevalet, entouré d’outils et de livres. Ainsi « encastré » dans son atelier, il est toujours en action : accordant la couleur sur sa palette, traçant les mots sur le parchemin, fouillant l’écritoire, taillant une plume, grattant la faute ou remplissant un encrier. La miniature ramène l’œuvre à sa dimension pragmatique, et dans cette dynamique, c’est l’atelier qui fait l’auteur.
In the Middle Ages, the writer or the painter were most often anonymous and the authorial notion referred to their materiality more than to individuality; this is undoubtedly the reason why the iconography, which frequently punctuates medieval manuscripts, does not attempt to represent the author as a real person but rather to evoke his functions in producing the book object. We see the artisan writing or painting, central pillar of his workshop, seated in an armchair, leaning over a desk or placed in front of an easel, surrounded by tools and books. Thus “embedded” in his workshop, he is always in action: matching the color on his palette, tracing the words on the parchment, searching the writing desk, sharpening a quill, scratching out the mistake or filling an inkwell. The miniature brings the work back to its pragmatic dimension, and in this dynamic, it is the workshop that makes the author.
1400s Spencer Collection “Des cléres et nobles femmes.” De mulieribus clari
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